Supérieur : trop d’études, pas assez d’apprentissage ?

PREMIÈRE PARTIE – ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : UN SYSTÈME MALADE

Le développement de l’apprentissage dans le supérieur est un sujet de débats, en particulier depuis son développement spectaculaire en 2020.

On dénonce des abus, à juste titre, mais sans les quantifier, comme pour mieux distiller le doute et justifier de limiter l’essor de l’apprentissage. On doit en revanche s’interroger sur les évolutions capitalistiques dans le secteur lucratif et la création d’une « bulle spéculative » mais les phénomènes conjoncturels ne doivent pas masquer les causes et effets structurels.

On soupçonne donc les écoles d’y voir avant tout une opportunité de business. Pourtant, les coûts réels des formations supérieures sont ceux les plus proches des financements publics, même avant l’instauration d’un reste à charge obligatoire du par les entreprises. Cet écart est si minime qu’il contribue à dégonfler ladite bulle…une affaire de deux ou trois ans.

Il demeure que la tentation de limiter l’apprentissage dans le supérieur est alimentée par une conception dépassée de l’apprentissage, celle d’une voie “de secours” pour ceux qui n’ont pas brillé à l’école et son corollaire : la primauté de la voie académique. Une conception un zeste élitiste : dis-moi quelle formation tu as suivie et je te dirai qui tu es…

Et si, à rebours de ces tentations, il fallait au contraire développer l’apprentissage dans le supérieur ?

Pour répondre à cette question, il est utile d’énoncer quelques constats sur l’enseignement supérieur en France. Des constats que l’on qualifiera de préoccupant ou de consternant selon sa sensibilité.

1. Une massification artificielle

Le nombre d’étudiants a explosé en France : plus de 3 millions en 2024-2025[1], un record ! Résultat direct d’un lycée “sans filtre”. En 2025, 96,4 % de réussite au baccalauréat général et 91,1 % toutes voies confondues[2]. Ce chiffre est d’autant plus inquiétant que le taux de redoublement au collège est de 1,1 % en France, contre 2,5 % dans l’OCDE[3]. Autrement dit : on pousse tout le monde vers le supérieur, quitte à baisser le niveau moyen, dévaloriser l’enseignement professionnel, dévaloriser le bac, stigmatiser ceux qui échouent et enfin organiser la sélection plus tard… par l’échec.

2. Le niveau des étudiants baisse

Les enquêtes PISA le montrent : en 20 ans, les élèves français ont perdu plus de 30 points en littéracie, numératie et en résolution de problèmes. La baisse n’épargne pas les diplômés du supérieur qui perdent 6 points entre 2012 et 2023[4].

On forme plus mais bien moins. Le niveau baisse et la capacité à apprendre aussi. La baisse de niveau a donc aussi un effet dommageable à moyen et long terme : au moins on maitrise ces compétences de base, au moins on recourt à la formation continue tout au long de sa vie professionnelle.

3. Beaucoup d’appelés, peu d’élus

Seuls 34 % décrochent leur licence en trois ans. La moyenne dans les pays de l’OCDE est de 43%… Plus de 30 % abandonnent dès la première année de fac, et 13% de plus la seconde année, faute de motivation, d’argent ou de sens.

Le niveau d’entrée est faible, la capacité à suivre la formation souhaitée, via « parcours sup », mal vécue. Bref, la sélection se fait après le baccalauréat avec son lot de frustration et de désillusion. Une désillusion d’autant plus forte que faire des études supérieures n’est plus non plus le sésame absolu pour l’emploi.

4. Trop de diplômés pour trop peu d’emplois

Plus on étudie, moins on risque le chômage. Cette réalité statistique encourage une demande sociale forte. Mais l’analyse des chiffres met en évidence une situation plus complexe.

La France compte aujourd’hui 52 % d’une génération au niveau bac+2 ou plus[5]… alors que seuls 45 % des emplois demandent ce niveau. Dans certaines disciplines, l’entrée dans l’emploi est de plus en plus tardive et on fabrique du déclassement. Ainsi seuls 57,5% des diplômés d’un master en lettres-langues et arts ont un emploi 18 mois après l’obtention de leur diplôme et près de 30 % des jeunes diplômés occupent un poste sous-qualifié[6].

Et pendant ce temps, l’industrie manque de techniciens et d’ingénieurs. Les chiffres parlent : 70 % des recruteurs peinent à trouver des ingénieurs, 80 % des techniciens[7]. Il faudrait 60 000 diplômés de plus par an !

Et pourtant, on continue à « sur former » dans certaines disciplines.

5. L’ascenseur social est en panne

En France, 75 % des jeunes dont les parents sont diplômés du supérieur le deviennent aussi. Mais seulement 32 % quand les parents n’ont pas le bac. L’université ne corrige donc pas les inégalités : elle les prolonge.

Cette situation se constate au lycée : les enfants de cadres sont sur-représentés dans les filières générales et technologiques[8] : en première et terminale générales on compte 2,5 fois plus d’enfants de cadres (37,5%) que d’enfants d’ouvriers (14,8%). Au CAP, au contraire, les enfants de cadres sont six fois moins nombreux (4,1%) que les enfants d’ouvriers (31%).

6. Étudier, un cout de plus en plus élevé

Un étudiant sur quatre peine à payer son loyer ou à se nourrir. Un pourcentage qui évolue peu depuis plusieurs années mais porte désormais sur 3 millions de personnes…
Le repas à 1 euro pendant le Covid n’était pas un gadget : c’était un besoin vital.
Et cinq ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Pire, les troubles psychologiques explosent : 36 % des étudiants montrent des signes de détresse, 8 % prennent des antidépresseurs.
Étudier, c’est parfois beaucoup de sacrifices…

7. On investit trop peu et pas de façon efficiente

La France dépense 5 % de son PIB pour l’éducation[9], si on extrait du budget de l’éducation les montants consacrés au financement des retraites des enseignants. Un chiffre qui se situe dans la moyenne OCDE et qui n’a pas progressé en dépit de l’augmentation des jeunes.

De plus, la répartition « interroge » : on dépense moins que la moyenne pour le primaire (‑13 %), un peu moins pour le collège (-5 %), et beaucoup plus pour le lycée (+24 %). Quant au supérieur, il reçoit à peine la moyenne.

Autrement dit, on investit mal : pas assez là où tout commence, le primaire, là où tout se joue.


En résumé :
On forme trop de jeunes sans les compétences attendues, pour des emplois qui n’existent pas toujours.
On parle d’égalité, mais on perpétue les écarts.
On dépense beaucoup, mais pas au bon endroit.

Dans ce contexte, où se situe l’apprentissage ?
Professionnalise-t-il ?
Insère-t-il ?
Y a -t-il un effet ascenseur social ?
Investit-on à bon escient ?
Et au final, quels sont quels sont les enjeux de l’enseignement supérieur ?

Les réponses dans notre prochain article dans deux jours.