Retour vers le futur : L’apprentissage en 2035

Quelle ambition pour l’apprentissage ? Après une progression spectaculaire de l’apprentissage, une série de décisions dictées par des considérations essentiellement budgétaires, souvent complexes et parfois avec des motivations bancales, jette le doute sur l’ambition sinon la conception de l’apprentissage en France….

Et pourtant, dans 10 ans…en 2035….

L’apprentissage est reconnu comme une voie de formation à part entière

La hiérarchie (à peine) implicite des voies de formation, filière générale, voie technologique, apprentissage et lycées professionnels, n’est plus le fait que de quelques-uns, nostalgiques d’un ordre social où le statut découle en partie des écoles que l’on a fréquentées. Certes l’apprentissage concourt à réduire le taux de chomage des jeunes à un pourcentage inférieur à la moyenne européenne, soit 14%[1], mais il est perçu avant tout comme une pédagogie, en alternance, caractérisé par la conclusion d’un contrat de travail qui renforce l’implication de toutes les parties prenantes. De ce fait, les critères d’appréciation sont plus larges et incluent notamment l’appréciation de la rémunération post-apprentissage et les évolutions de carrière. Fini la voie de « remédiation » ; fini la primauté de l’enseignement académique…les conseils de classe, les services d’orientation n’hésitent plus à recommander aux jeunes et à leurs familles de suivre les voies professionnalisantes au même titre que les autres voies.

10%[2] d’une classe d’âge est en apprentissage, soit un peu plus de 1,2 million d’apprenti et une progression de 3,5 points en 10 ans… La France avoisine le taux de l’Allemagne (9,16%) et se rapproche de celui de la Suisse (14,3%)[3].  Les capacités des entreprises à conclure des contrats sont plus importantes car l’apprentissage s’est imposé depuis 15 ans comme un mode de recrutement efficace et ce, quelle que soit la taille des entreprises et le secteur d’activité. Diversifier les modes de recrutement, accroître le volume d’expérience professionnelle et la capacité à comprendre la culture de l’entreprise et son mode d’organisation sont les ingrédients d’une formule gagnante, au moins à moyen terme…et puis, la démographie a accru les tensions de recrutement…avoir recours à l’apprentissage, c’est être attractif. Avec 10% d’une classe d’âge en apprentissage, tout le monde connait au moins un apprenti, dans sa famille, dans son entourage. Bref L’apprentissage s’est installé…

Cumulé, le nombre de jeunes en apprentissage et en lycée professionnel a augmenté de 20% par rapport à 2024 pour atteindre près de 1,9 Millions de jeunes[4]. Le nombre d’élèves en filière générale a baissé corrélativement, témoins d’une véritable révolution culturelle[5]. La réforme de la formation continue, de 2029 a fortement accru les possibilités d’évoluer en cours de parcours professionnels et les jeunes hésitent moins à s’engager plus tôt dans la vie active. Les efforts de rénovation de la carte des formations des lycées professionnels, entamés en 2024 ont fini par payer. Le taux d’insertion dans l’emploi après formation a augmenté significativement : 60% d’insertion 6 mois après la fin de la scolarité[6]. Bref, on rentre plus vite dans la vie active et on évolue plus facilement ensuite. Il est vrai que les évolutions démographiques facilitent aussi ces évolutions.

L’apprentissage s’est développé dans tous les niveaux, incluant ceux du supérieur

En tant que modalité pédagogique, l’apprentissage est perçu comme pertinent quel que soit le niveau. Imagine-t-on supprimer l’internat de médecine qui en a toutes les caractéristiques mais pas le nom ? Il a contribué a renforcé le taux d’encadrement dans les TPE-PME et continue de séduire les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). De plus, la France n’est pas l’Allemagne. Dans un pays où, culturellement la possibilité d’accès à l’enseignement supérieur reste un marqueur important, l’apprentissage, pour rester une voie à part entière, a encore besoin de pouvoir etre dispensé à tous les niveaux[7]. Au global, la France compte moins d’étudiants, en particulier dans les filières non scientifiques et compte plus d’ingénieurs, y compris en apprentissage.

La formation à distance y tient toute sa place…

elle s’est meme développée…le plus souvent dans des formations « hybrides » mais quelquefois, pour 100% de la durée de formation. Ce développement permet notamment à des jeunes de diminuer les temps de transport, à des personnes expérimentées de compléter leurs acquis… Et puis, la maitrise de « son bilan carbone » est entrée dans les mœurs. Les pouvoirs publics envisagent d’encourager les pratiques innovantes en majorant les niveaux de prise en charge permettant de l’améliorer. Après un premier sursaut ,au moment de la crise COVID, qui avait notamment permis de maintenir le lien avec les apprentis confinés, les CFA ont continué à augmenter qualitativement et quantitativement les contenus disponibles et former les équipes à maitriser la pédagogie inhérente à cette modalité. Les questions « d’accessibilité » permettent aussi à un nombre croissant de personnes en situation de handicap d’user de cette modalité[8]. La France a ainsi rattrapé son retard en matière de formation à distance et figure meme dans le peloton de tête en Europe avec la Suède, la Finlande et les Pays-Bas… Loin de stigmatiser cette modalité, les pouvoirs publics ont encouragé les investissements, notamment avec le soutien de la BPI et la banque des territoires. L’instauration, dans QUALIOPI, d’indicateurs particuliers portant sur l’accompagnement et le suivi à distance, s’est substitué à la minoration des niveaux de prise en charge, complexe et, contre-productive.

Plus largement, l’innovation pédagogique est de mise

Les CFA ont cultivé cette dimension pour mieux se différencier des autres voies de formation. Un nombre croissant de CFA ont un service R&D et les partenariats, notamment avec les laboratoires et experts en neurosciences, se sont développés. Les concepteurs français de jeux vidéo, dont le savoir-faire est reconnu dans le monde entier, ont été parfois associés. Plus largement, la France figure au palmarès des pays en pointe dans l’innovation en matière d’éducation et d’acquisition des compétences, rivalisant avec Singapour, le Vietnam ou encore l’Estonie ou la Grande-Bretagne en Europe. Témoin de ce dynamisme, à l’occasion de l’édition mondiale de WORLDSKILLS 2034, la France a battu le record de médailles de l’édition 2024 à Lyon !

De fait, le montant des investissements des CFA a augmenté de 20%[9],

si on prend la moyenne des trois dernières années, par rapport à la période 2020-2023, soit environ 700 millions d’euros. L’accès aux financements est plus simple et les banques n’hésitent plus à soutenir les projets, rassurée par la stabilité des règles et les perspectives d’évolution de l’apprentissage. Un crédit d’impôt « education », mis en place en 2028, fortement inspiré du crédit d’impôt recherche, permet aux entreprises, notamment les PME, de financer également des projets, complétant l’action des fondations mais dans un processus simplifié. En outre, cette modalité favorise la mise en œuvre de partenariats privé/public. Bref, l’enjeu education/compétences est partagé et tous peuvent y participer.

Les règles de financement sont stabilisées

Politique publique éducative, l’Etat assume le financement d’une partie de l’apprentissage pour faciliter l’accès de tous les jeunes à un enseignement jusqu’au baccalauréat. L’évolution des effectifs étudiants dans le supérieur, contribue à une autre allocation des budgets ; à ce socle garanti par l’Etat, s’ajoute un financement « complémentaire », la CUFPA, assise sur la masse salariale des entreprises. Un reste à charge éventuel, le cas échéant financé par une contribution conventionnelle, notamment pour les secteurs ayant une forte densité de TPE-PME, parachève le plan de financement…

Les modalités de calcul des NPEC font l’objet d’un certain consensus autour des principes suivants : une convergence des NPEC par niveaux et structures de couts (valeur pivot) qui a fait baisser drastiquement le nombre de valeurs ; une possibilité de modulation par branches (avec une valeur plancher et une valeur plafond) qui intervient en bout de processus pour qu’ellespuissent mesurer l’effet réel de leurs décisions ; une majoration possible décidée de façon quadripartite pour une ou deux priorités. Le coût d’amorçage est celui de la valeur pivot plancher. Ces modalités garantissent une prise en charge cohérente des formations « transverses ».

Sur cette base, les NPEC sont majorés du coût de l’inflation chaque année.

Le régime de primes est lui aussi stabilisée.

Après une relative constance des aides en 2025, 2026 et 2027, « l’aide unique » est, pour les entreprises éligibles, désormais exprimée en pourcentage du SMIC, dont elle suit l’évolution.  Le montant est de 21% pour les entreprises de moins de 250 salariés et de 7% pour les entreprises de 250 salariés et plus, soit respectivement 4540,5 et 1513,5 euros « 2025 ».  Finalement, les petites et moyennes entreprises bénéficient d’un apport plus substantiel meme si la capacité de financement des entreprises tient plus à leur marge qu’à leur taille. Bercy et les principaux ministères concernés ont compris que la stabilité participait à la confiance dans la parole publique et à la dynamique de l’apprentissage.

Le nombre de CFA, après un pic en 2025, a diminué de 20% et n’excède pas le nombre de 2500.

Des structures se sont regroupés et la bulle « spéculative » post-covid du début des années 2020, fruit de la combinaison entre forte progression de l’apprentissage et fort volume de liquidités disponibles, s’est dégonflée, non sans quelques tensions jusqu’au début de 2030.

Le système qualité est plus lisible et efficace 

il repose sur trois piliers : un système d’assurance qualité robuste et complet, le contrôle de service fait et la publication d’indicateurs pertinents permettant aux jeunes, à leurs familles ainsi qu’aux entreprises de faire leurs choix en ayant connaissance des principales informations. S’agissant du système d’assurance qualité, QUALIOPI s’est imposé comme le système d’assurance qualité de l’apprentissage, y compris dans le supérieur, en intégrant un critère et des indicateurs spécifiques. L’explicitation du projet pédagogique est devenue un critère pour tous les CFA. La qualité des auditeurs et celle des audits s’est considérablement renforcée et homogénéisée. Les cas de non-conformité sont recensés et analysés et constituent un baromètre de l’évolution de la qualité. Ces indicateurs sont complétés d’une enquête, tous les trois ans auprès des acheteurs/financeurs pour croiser les appréciations sur l’amélioration des pratiques. et les organismes auditeurs. Une enquête miroir est menée auprès des organismes sur la qualité des pratiques d’achats. Le contrôle de service fait est distinct de la responsabilité des financeurs. Ils n’ont pas d’autres obligations légales en matière de qualité. La publication des indicateurs porte notamment sur les taux d’assiduité, de réussite aux examens et de poursuite d’études et d’insertion. La publication est effectuée sur une seule plateforme comprenant tous les niveaux de formation et les types d’établissements.

Ce système est articulé avec le système qualité de la certification professionnelle, notamment s’agissant de la publication des indicateurs. Cette distinction a permis de diminuer sensiblement le nombre de contrôles dont nombre faisait doublons et généraient des coûts importants pour les CFA.

Un système d’alerte entre financeurs, auditeurs et services de contrôle, couplé avec l’utilisation de l’IA permettent de déceler plus rapidement les dysfonctionnements, sinon les fraudes. Le tout est analysé par la Commission évaluation de France compétence et, pour l’enseignement supérieur, par une structure nationale indépendante, réunies deux fois l’an en une séance conjointe.

Bien sûr, tout n’est pas parfait et des efforts restent à fournir pour que toutes ces évolutions soient encore davantage partagées. Et puis, nous n’en avons pas fini avec nos réflexes…

Bercy préfère surjouer son role de « cost-killer » plutôt que celui « d’actionnaire de référence », laissant au Ministère du travail le soin d’annoncer les mauvaises nouvelles, même si elles sont plus rares. L’antagonisme public/privé n’est pas mort, en dépit de partenariats plus fréquents. Le Gouvernement et les partenaires sociaux s’échinent à chaque transposition d’accords dans la loi ; le millefeuille territorial s’est transformé en pate filo … ; la mobilité européenne des apprentis, en dépit d’une légère progression, peine à s’imposer. Cependant entre séjours courts et longs (plus d’un mois) le nombre d’apprentis concerné est de 7%[10]. Il est vrai que la multiplication des tensions internationales ne la favorise pas. Le calendrier scolaire reste la référence en dépit d’un nombre croissant d’ouvertures de sessions en cours d’année… Bref, nous sommes français…avec nos qualités et nos défauts et fiers de l’être

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[1] En mars 2025, le taux de chômage dans l’union européenne est de 14,5%, il est de 17,6% en France (Eurostat).

[2] En France, sur une population de 68,6 millions d’habitants, 12,14 millions ont entre 15 et 29 ans, soit 17,7% de la population (Insee). La population a augmenté de 0,25% entre 2024 et 2025, elle pourrait donc atteindre 70,33 millions en 2035 si la hausse se poursuit. En prenant 17,7% de cette population, on arriverait à une population jeune de 12,45 millions en 2035 ; la population apprentis pourrait alors être de 1,245 million d’apprentis.

[3] L’Allemagne compte 13,247 millions de jeunes âgés de 15-29 ans (Eurostat) et 1,214 million d’apprentis ; la part d’apprentis dans la population concernée est de 9,16%. La Suisse compte 1,477 million de jeunes âgés de 15-29 ans (Eurostat) et 211 583 apprentis ; la part d’apprentis dans la population concernée est de 14,32%. Près de 70% des jeunes suisses ont opté pour une formation professionnelle en 2023 (Office fédéral de la statistique). En Allemagne, 50% d’une classe d’âge est orientée dès 10-11 ans vers l’apprentissage (France Travail).

[4] En 2023, on compte 633 046 élèves en lycées professionnels, une hausse de 20% porterait cette population à 760 000 (source Depp). En 2024, on compte 880 000 entrées en apprentissage, une hausse de 20% porterait ce chiffre à 1,056 million (source Poem DARES). La population serait alors de 1,816 million d’élèves sur ces 2 voies.

[5] Une baisse de la filière générale de 20% porterait cette population à 3,659 millions d’élèves/étudiants. En effet, la population en lycée général et technologique passerait de 1,618 million en 2023 à 1,295 million en 2025. Dans le supérieur, la population passerait de 2,955 millions à 2,364 millions.es.

[6] En 2023, le taux d’insertion dans l’emploi à 6 mois est de 48% pour les lycéens professionnels (source Depp).

[7] Rappelons que l’accès à l’apprentissage dans le supérieur ne date pas de la loi du 5 septembre 2018, mais de la loi Seguin du 23 juillet 1987 qui a élargi l’accès à l’apprentissage à un public plus large.

[8] La part d’apprentis en situation de handicap est passé de 0,7% en 2012 (2026 individus) à 1,7% en 2024 (15 713 individus). (Source : Dares). Une hausse à 2,5% porterait le nombre à 31 000 individus.

[9] Selon la dernière édition du RUF de France compétences publié en février 2025, le montant moyen sur la période 2020-2023 est de 579M d’euros ; une hausse de 30% porterait le montant moyen à 752,7 M d’euros.

[10] Selon le rapport IGAS, en 2018-2019, la France compte 7800 apprentis en mobilité. Augmenter la part d’apprentis en mobilité à 7% conduirait à une population de 87 150 apprentis.